autour des feux
Autour des feux
Silence Productions
1994 / 200 ex. épuisé
Avant le feu l’homme était cru
les herbes et les nuits amères
Avant le feu l’homme était nu
nous tremblotions dans nos clairières
Guetteurs d’aube ou transis de froid
rêvions-nous déjà de mystères
inaccessibles et de rois
pour tresser nos jours éphémères ?
Sans doute puisqu’un jour le feu
vint apprivoiser notre histoire
approfondissant peu à peu
notre conscience et sa mémoire
Chacun
se souvient
confusément
d’une plage
et d’un foyer fossile
où affleuraient déjà
les premières syllabes
de notre espèce
Chacun
Palpe ainsi
inconsciemment
les galets
d’une pensée tactile
où s’élabore encore
un langage unique
à tous les hommes
Poésie
Parole enflammée aux bandons du silence
Braise en notre errance
la lente somnolence de quelques mots en caravane
tisonne l’infini
Amis
donnons-nous donc du feu
une flamme
un foyer
Partageons des nuits sans escale
ensemble
intensément
veillons sur les flancs obscurs de la lumière
Un murmure flambe entre les mots
Les feux
le soir
aspirent les hommes
La fatigue à l’épaule
et le bâton en main
ils reviennent
Leurs manteaux burinés bercent au long des sentiers
leur marche
Et d’un pas ample et lent
ils apprivoisent les fumées lointaines
Autour des feux respirent les hommes
Dès l’embrasement
les étincelles jaillissent des sarments
mordent la peau
voyagent
comme en nos mémoires migratoires
les serments usés par les poulies chuintantes de ces puits
où nous nous partagions la terre
De génération en génération
nous arpentions alors
libres
les éphémères écritures des troupeaux
et des eaux
Mais les sols
foulés jusqu’à leur trame ont creusé nos joues
pétrifié nos campements
Ainsi
au revers d’un crépuscule
apparaissent parfois
quelques pierres
un foyer
Mais
comme un mot dépossédé d’accent
la flamme a déserté sa mélodie intime
et n’a laissé
inaudibles
que des cendres rebelles
à l’oubli
Sur nos nuits restreintes ne veillent que quelques arpents de braises sédentaires
où se brûlent de sourdes éternités
Comment pourrions-nous effacer les siècles nomades
qui ont forgé notre langue
et comment rejeter
d’un haussement d’épaule
l’évidence d’une planète en perpétuelle transhumance
Amis
Aiguisons donc au feu ces quelques mots rougis
qui nous relèvent
et nous permettent d’entendre la perpétuelle pulsation des torrents
L’intense déferlement des vents immenses sur les océans
écume nos grammaires
ébouriffe nos accents
Rebelles
Nous sapons de hautes falaises
pour ensuite autour des bivouacs d’algues sèches
nourrir de graviers notre écoute
Entre les flammes
nous entendons crisser
fugitive
une ombre
A l’heure initiale
un être un instant contracté
Entre nos mains
le grain vif de nos peaux
accueille une lente germination
Lettres à assembler
Un peuple de phrases fécondées marche et palpite
un peuple de phrases psalmodiées
accompagne un à un
chaque homme
en notre histoire
Ecriture parole enfouie
Un geste de la main permet d’étayer une présence
et de chevaucher ces hauts plateaux
que de violents regains
ensemencent en silence
Automne immobile incendie
Les odeurs entremêlées
des châtaignes grillées
et des tourbes consumées
donnent de douces veillées
En tète à tête avec le feu
notre silence accompagne les forets ardentes
Le soleil couchant affûte un érable
et s’éblouit
En aval
déjà la nuit s’absorbe
et se poursuit
Des froids sans écho
glacent la rivière
Aucun mot ne roule entre les rochers
Seule écharde au flanc obscur de la planète
un éclat d’érable au couchant
rumine un désir de lumière
Pas à pas creusé
et de l’un à l’autre émondé
le chemin jubile en nos souffles réunis
Sans froisser
ni l’étincelance du givre
ni le silence
nous marchons par d’infinies voies lactées
Bordée d’intenses nuits fraîches et bleues
notre histoire épanouit ses accords
à l’ombre de nos paupières brodées d’un même rêve