concert
ces textes ont été écrits à la volée durant chaque concert.
Un soir de harpe
Solo de harpe
Vincenzo ZITELLO
espace de l’art concret
château de Mouans-Sartoux 10 février 1996
©Patrick JOQUEL
inédit
extraits publié dans Envol (Québec), Francopolis (intenet)
chaque solo manuscrit en six exemplaires. Le dernier concert aussi. Encre et plume sur papier. Chaque musicien en a reçu un.
Harpe en attente
immobile
Harpe en écoute
inaudible
Harpe en silence
Indifférente à nos calculs
la harpe
est
son propre lieu
Sur l’angle extrême
de son être
et
toute
en son équilibre
la harpe
est suspendue
à ses cordes
Quel ange d’ombre
picore ainsi
l’invisible grain
de l’espace
et
de quel
imperceptible
battement d’ailes
l’entoure-t-il ?
Loin
dans nos gènes
mémoire
une langue de sable
ou de lagune
avec en écharpe
autour du feu
le murmure ami
des cordes tendues
Le son de ce sourire
où
se terre-t-il
avant
d’ébahir ma présence
et
de sculpter
à mes paupières
son refrain ?
A chaque corde
un million d’années
suspendues
Un million d’années
réunies
Harpe
somme unique
d’uniques instants
accordés
Aurons-nous assez
d’un soir de harpe
pour entendre
ce long tourbillon
de terre
autour du soleil ?
Pour entr’entendre
le silence ?
Que jamais
les cordes
ne désertent
nos mains
Que jamais
la harpe
ne s’éloigne
Et tout
ce qui
résonne ici
Et tout
ce qui
vit ici de connivence
Et du plus petit atome
à l’homme
Et l’impalpable odeur
d’un cerisier blanc
Ce bonheur du corps
Tout ce qui dure ici
un peu plus loin
que simple étreinte
Et tout ce qu’une abeille ici
dit aux pollens
d’un dernier cerisier blanc
Tout ce qui s’écoule ici
sève et miel
rires et saveurs d’humains
à l’ombre
du dernier cerisier blanc
Tout ici
est
dans
la harpe
Le harpiste sculpte
un temps
l’espace
et
se tait
Harpe
qui de nous deux
entend l’autre
Lequel d’entre nous deux
se joue de l’autre ?
Tu es sans nul doute
un peu moins volatile que moi
Alors garde en ton bois
le souvenir de mes doigts
Griffer l’air
Solo de Mandoline
Patrick VAILLANT
espace de l’art concret
château de Mouans-Sartoux
le 16 mars 1996
Où se tient la musique
avant de traverser l’espace
et de me pénétrer ?
Dans le bois ?
Sous les cordes ?
Ou bien
telle un ange heureux
juché sur mon épaule
lit-elle ces mots
au fur et à mesure
qu’ils crissent le papier ?
Toute en son silence
elle m’interroge
« Qu’entendras-tu de moi ? »
Dans ce face à face
où
soupir et silence
s’interpellent
une autre voix s’encre
Celle de l’ange ?
Que lui donneras-tu à entendre ?
La suite des sons
ne retient rien de l’instant
tout est éphémère
Le présent donne de l’avenir au passé
Le son
de l’espace au désir
Mandoline
instrument fébrile
aux aguets
Instrument fragile
toujours sur le qui vibre
Mandoline des restanques buissonnières
instrument d’herbes folles
réfractaire
à toute moisson
Mandoline des garrigues crépitantes
instrument d’essences volatiles
d’insectes
de chardons
et d’aiguilles
Mandoline
offerte à la caresse
Griffer l’air
et
son opacité
pour
en délivrer la vibration
L’habiter
Mandolocelle
Les loups ne jouent pas du mandolocelle
Cependant
leurs empreintes
gravent
autour de ses longues cordes
de secrètes arabesques
Sur le Bégo
un soir de pleine lune
je rejoindrai le loup
Plus bas
sur les ciappes de Fontanalbe
un peuple de laboureurs
gravera
pour son dieu
des cornus foudroyés
Ce qu’en diront le monde
la mode
et les crédits agricoles
n’échardera personne
Passé une certaine altitude
Seul l’orage
a raison
de l’homme
A la pointe extrême du son
Solo de contrebasse
Barre PHILLIPS
espace de l’art concret
château de Mouans-Sartoux
le 27 avril 1996
Patrick JOQUEL
1
Je vais dans les rues
sans papiers
Clandestine et vivante
Mes deux longues oreilles fendues
écoutent
Un écho de fontaine
son
clapotis sur mes cordes
La couleur d’un clocher
Son
à mon archet
J’écoute
et dans la rue
je respire
J’écoute
et j’entre en connivence
J’épouse le silence
comme un brasier
la matière
Je cherche à en atteindre
la transparence
Toucher l’instant
où son et silence
se confondent
Je suis une contrebasse noire
et je plais
paraît-il
aux passants
J’ai de belles formes
disent-ils
je fais de la musique
Je caresse
je soupire
j’enveloppe
et
je sais rire aussi
Rejoindre
fondre
oui
fondre
Il y a du vent en moi
de la pierre et du bois
de l’écorce et de l’insecte
de l’homme aussi
beaucoup
Ses gémissements
Toutes ses onomatopées
Son babillage
son
prélude au langage
Ce juste avant
que le doigt ne se pose
et
que la corde ne vibre
Je suis grosse
mais toute entière en équilibre
à la pointe extrême du son
Toute entière
et offerte à sa jubilation
à sa résonance
Je donne une architecture au son
Il se cogne en mes limites
se coupe
se heurte
grince
Je l’étire
je l’éprouve
je l’étends
je le tends
jusqu’à son point de rupture
Le suspends
le martèle
le rends à son silence
et le reprends encore
Je le gratte
je le creuse
je l’habite
Et je ne connais rien de lui
sinon ce qu’il me donne
et je ne sais rien de lui
sinon qu’il est toute ma vie
Le grincé du vent sur la toile
Solo de guitare accompagnée
Serge PESCE
espace de l’art concret
château de Mouans-Sartoux
le 25 mai 1996
Si le corps
résiste à l’écriture
L’archet
debout
et droit
garde
l’espace
Il l’encadre de silence
Il écoute
Il imagine
Bruits de foule
Multiples pas des songes
en tes neurones
L’homme à la guitare
arpente un monde de couloirs
où de vastes démarches résonnent
à l’étroit de leurs souliers
Ils ne laissent aucune trace
sur le bitume
Toute leur réalité
réside en ces instants suspendus
où leurs semelles ne touchent plus le sol
S’approchent
de leur mort
Tout est dans ce songe
à chaque pas renouvelé
Affiné
Tout l’impalpable de l’homme
est là
dans ses couloirs
Son génie
sa lumière
et
son chant si aérien
Ainsi suspendu
l’écoutant arpente un à un
les hauts plateaux des légendes humaines
Retrouve les sensations nomades
Le grincé du vent sur la toile
la beauté d’une averse
le crépitement des nuits bleues
et cette ondulation de la paupière
à l’approche de l’aube
Ici sur chaque degré de la boussole
s’oriente une histoire
Un songe trace son cap
L’aiguille
oscille
et
donne
le nord
d’une bibliothèque
immense
Elle joue avec les salamandres
Concert création
harpe, mandoline, contrebasse, guitare
Zitello, Vaillant, Phillips, Pesce
espace de l’art concret
Château de Mouans-Sartoux
le 30 juin 1996
1
L’instant passé
ne meurt pas dans le passé
il se diffuse
et
sa présence en nous
trace nos lendemains
Les sons passés
poursuivent
de leur sillage
nos mémoires
Leur étrave
tendue vers le sud
les nourrit
2
Chaque vie est une
et
toute rencontre
féconde l’imaginaire
Notre être profond est là
3
L’homme est bien
cette vie rêvée
Né
sur le fil taciturne du songe
bercé par le feu
porté par sa voix
son silence
et
ses sonorités
4
Douceur de la pierre
Douceur de la terre
frêle planète
où l’homme
improvise son bonheur
Douceur de la mer
sexe offert
au sillage de la lune
et
pause d’écume
à la main des musiciens
5
Douce offrande
rencontre
douce offrande à la joie
Vivre a sous la langue
un goût maritime
et
la musique
reste en bouche
longtemps
6
Douceur de la caresse
Douceur des doigts sur les cordes
Lumière et douceur
de ces voyages
couchant
sur la braise
les jours heureux
où
chaque présent
invente son pas
Où
chaque note
en continu le révèle
7
La harpe et la mandoline
sourcent tout crépitement
et la lune
penchée au dessus des toits
s’y baigne
Elle joue avec les salamandres
La mandoline l’éclabousse
La harpe la roule
dans ses jeunes méandres
et
le silence
à genoux sur les galets
le silence
retient son souffle
ébloui
Il ne bouge plus
Tout entier au monde
sa présence est absolue
8
La contrebasse et la guitare
pétrissent l’argile
La terre s’anime
de sourdes convulsions
la saisissent
La boue rampe
et soudain
deux yeux la traversent
Elle se contorsionne
suspend son mouvement
deux oreilles s’ouvrent
Elle se lève
se redresse
Une voix la déchire
Elle crie
elle avance
elle galope
des mots jaillissent
désordonnés
Elle balbutie sa première phrase
La bouche encore dégoulinante
les dents terreuses
puis
elle chante
Elle chante
et s’enchante
de ses propres sonorités
Elle chante
et
les bois résonnent
Son être de corde vibre
et
déjà
elle se souvient
Elle n’a rien oublié
Elle est ce
qui elle est
Tout ce
qui elle est
9
Qui marche ainsi
à travers le temps
au rythme de sa harpe profonde
Qui saute ainsi les torrents
les forêts
les rochers
Qui dévale ainsi les pentes
pour crier
à tous les points cardinaux
sa présence
?
Quel murmure accompagne
l’embellie d’une luciole
?
Qui prolonge ainsi sa course
de corde en corde
entre les doigts du harpiste
?
Qui donc interroge ainsi
sans se lasser
le silence et tout ce qu’il contient
?
Qui s’aventure ainsi
au bord de la faille
?
Quelle tectonique le plaque
au seuil de l’émerveillement
et le façonne
?
Qui donc se lève ainsi
si fragile
?
Qui s’obstine ainsi
à tutoyer
le secret
?
Quel murmure accompagne ainsi
l’embellie d’une luciole
?
10
Plus besoin de mots
J’écoute
je suis vivant
Écoute la vie en toi
avec ses bonnes humeurs
ces soirs de juin
où la terre semble danser
Ivre de toi
de ta présence
de tes accords
Écoute
et sois heureux
c’est un beau jour encore
un de plus
à glisser sous ton archet
à garder
dans ton carquois
de sourires iroquois
Écoute
tu es tout entier
dans ce que tu écoutes
Les mots sont trop légers
pour porter
ce qui tu es
Tu t’effleures parfois
Tu t’enrobes d’un son
comme d’une mer taciturne
et pailletée de plancton
11
Écoute
Ce qui tu es
est un enfant
Encore
encore un baiser
encore un câlin
encore un son
Encore un peu de bonheur
s’il te plaît
Joue avec moi
encore un peu
joue
la vie
avec moi
joue encore un peu