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la légende des zygènes

La légende des zygènes
inédit

En ce temps là dans les vastes savanes du sud, les poules avaient des dents. Elles croquaient tout cru les petits épaulards qui eux festoyaient de phoques aussi patauds que les crapauds d’aujourd’hui. De géantes sauterelles broutaient d’immenses forêts de fougères imberbes et de grands escadrons de papillons monochromes virevoltaient dans le ciel et sous la terre…
Les papillons blancs vivaient parmi les neiges éternelles, leur passage à très grande vitesse au dessus des pentes déclenchait de terribles avalanches.
Les bleus tourbillonnaient au dessus des océans, ils jouaient sans se lasser à « cyclone, y es-tu ? ».
Les jaunes modelaient les vents de sable et courbaient les dunes.
Les rouges piquaient au cou les dinosaures et buvaient tout leur sang ; on raconte que ces papillons-là auraient causé la fin de ces formidables animaux…
Les noirs ne connaissaient ni la neige, ni l’écume, ni la plage, ni la crainte, les noirs se cachaient sous le sol. Seuls les vers de terre et les larves de cigales connaissaient leur existence heureuse. Heureuse car ces papillons là n’avaient aucun prédateur. Leurs souterrains regorgeaient de charbons noirs à croquer. Ils se baignaient des siècles entiers dans de profondes nappes de pétrole ou bien comptaient calmement dans les grottes obscures le goutte à goutte des stalactites. Et si parfois l’un d’entre eux venait à s’ennuyer, il dépliait ses ailes noires et se fabriquait ainsi un joli tremblement de terre, histoire de changer de décor !
Ce bonheur tranquille aurait pu durer éternellement si certains d’entre eux ne s’étaient égarés dans les cheminées des volcans de l’Estérel. Tandis qu’ils batifolaient au dessus d’un lac de magma incandescent, la lave se mit à monter le long du conduit et à pousser nos explorateurs vers la sortie. Dans une gigantesque éruption, les volcans crachèrent des geysers de papillons brûlants.
Pour la première fois de leur histoire les zygènes voyaient le ciel et les montagnes. Et malgré leurs ailes mouchetées de lave rouge, malgré l’appétit des hirondelles gourmandes, elles aimèrent ce monde libre et si léger sur leur dos. Elles aimèrent surtout, je crois, la saveur piquante des chardons bleus. Elles vivent toujours auprès d’eux sur les pentes ensoleillées des Alpes du Sud où les petits et les grands enfants comptent les points rouges de leurs ailes noires…
Et si parfois dans ce pays la terre tremble encore un peu, c’est que sans doute, une des dernières zygènes noires souterraines déplie ses ailes dans le cœur obscur de la terre…
©Patrick JOQUEL