PATRICK JOQUEL Sur ce site, mon agenda des manifestations, des animations ainsi que les dernières publications.

printemps des poètes 2024

La grâce
printemps des poètes 2024
anthologie réalisée par Patrick Joquel dans son anthologie poétique personnelle constituée au fil du temps.
les poème sélectionnés contiennent le mot grâce dans le sens : la grâce, l’état de grâce. Ou bien ne le contiennent pas mais sont touchés par la grâce.
Ils sont rangés par ordre alphabétique des noms d’auteurs. Liste en fin de dossier.
www.patrick-joquel.com

https://www.patrick-joquel.com/rencontres/la-grac/

*

Le matin
Coupe le souffle
Et tu reçois tout
En brassée
L’enfance, la mort, le temps
Et les yeux au bord des larmes
Giflés par le bouquet de ciel.

Béatrice Bonhomme
« Monde, genoux couronnées », Mers-sur Indre, éd. Collodion, 2022. Prix Mallarmé 2023
*
Combien de pas encore
50 années de marche en l’air
chaque pas sucé comme un bonbon
Tant que le corps
joue pas au con
tant que le corps fait pas le mort
puisque la vie
nous est comptée
il y avait dans le bourdon
sur la lavande
l’ail sauvage
dans l’œil des corneilles
gardes du refuge
dans les trouées des brumes
et les lointains dessins
des lignes vertes
de quoi laisser clapet fermé
aux sujets qui fâchent
j’ai pris sous mon aile
les âmes amies perdues
et les amis debout
j’ai marché toute légère
avec le goût du bonheur
sur les épaules
et les pierres en poche
Sophie Braganti
*
Tous contemplés par des Machines d’Amour et de Grâce

Il me plaît d’imaginer
(et le plus tôt sera le mieux !)
une prairie cybernétique
où mammifères et ordinateurs
vivent ensemble dans une harmonie
mutuellement programmée
comme de l’eau pure
effleurant un ciel serein.
Il me plaît d’imaginer
(tout de suite s’il vous plaît !)
une forêt cybernétique
peuplée de pins et d’électronique
où le cerf se balade en paix
au milieu des ordinateurs
comme s’ils étaient des fleurs

Richard Brautigan
Il pleut en amour L’incertain
*

Comment savoir où nous allons, parmi ces eaux qui grondent et nous emportent, de remous en remous, nous éloignent, tant et tant nous éloignent, puis nous ramènent, cœur épuisé ? Quelle lutte nous sera abandon, bras tendus entre ciel et terre, les mains reliées sur le vide ; au bout de quels heurs, de quelle ultime bataille du corps contre toute force surgie, serons-nous enfin abandonnés ?

Les mots vont, barques fragiles sur les bords de l’horizon, frôlent l’abîme et demeurent dans cet exil qui ne sauve ni du présent ni du passé. Nous allons cherchant ce qui nous est promis depuis l’origine, ô amour, amour tel rameau tenu très haut.

Je vous écris depuis le bleu du ciel, puisant là l’unique clarté possible des mots, et toute lenteur d’aube nouvelle. Je vous écris pour l’herbe, le feuillage, et le vent qui les broie, lette couverte de notre pauvreté.

C’est d’un même corps que nous sommes soulevés par la grâce et portés vers l’intime luttant usant nos os jusqu’à les disséminer, poids d’appel et de prière, tant de silence irrésolu dans la barque de nos mots.

Nous naissons d’une imparfait lumière, et mourons d’une ombre, plus imparfaite encore.

Hélène Dorion

*
Jeter
La poudre avec les yeux

Les moulins
Par-dessus la campagne

L’azur
Par les fenêtres

Et puis
Le regard nu

Rire
Devant le tout
Le rien

Le ciel
En majesté

La grâce
Toujours neuve.

Hélène Cadou
D’entrée de jeu l’été
2004
*

Cirque

[…] Melle Zizi, la plus jeune écuyère de la troupe, exécute le saut périlleux, passe au travers de cerceaux dont elle crève le papier et sur ses minces poignets d’enfants accomplit, dans son maillot rose, un rétablissement de style avant d’envoyer des baisers autour d’elle puis, enfin d’arrêter la monture avec la même grâce et la même innocence qu’elle a montrées au cours de son exhibition.
- Ah ! Ah ! Monsieur Lionel vraiment, c’est épatant, n’est-ce pas ? s’exclama bruyamment un Auguste. J’adore ce numéro.
- Je pense : il le mérite.
- Mais il faut que je vous dise. J’adore également la jolie Melle Zizi et je voudrais vous demander sa main.
Gantée de blanc, celle de M. Lionel s’abat sur la face du pitre. Des gens s’esclaffent. Mais les cuivres de l’orchestre attaquent un air plus vif et le numéro continue.
Cette fois Auguste débordant d’allégresse, se lancé à la poursuite de Melle Zizi, tombe, rebondit sur ses pieds, s’essuie, refait bouffer les plis de son pantalon et repart comme un fou.
- Ce n’est pas raisonnable, se contente de dire M. Lionel. Son fouet claque. On comprend, on admet qu’un clown ne possède aucune chance de séduire une étoile. Celle-ci par son dédain de l’hommage qu’Auguste lui rend publiquement, établit des distances qu’il ne saurait franchir. Plus il court, plus l’étoile l’ignore jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, le malheureux se jette à genoux, tire de sa poche un revolver énorme, l’appuie contre sa tempe : le coup part.
- Hop ! lance d’abord d’une voix sèche l’acrobate.
Saut en avant. Saut en arrière. Place au cirque ! Qu’est-ce qu’un amoureux pour la foule ? Melle Zizi se dresse adroitement sur les pointes puis se renverse en ondulant jusqu’à ce que son frais minois surgisse entre ses cuisses et que ses deux épaules se coulent, I’une après l’autre, par la même issue : soudain, lâchant le panneau, elle se redresse, flexible, sur ses bras minces et retombe enfin sur ses pieds.
- Et voilà, crie Auguste qui toujours éperdu d’amour, cesse de faire le mort et s’incline jusqu’à terre avec un gros bouquet qu’il s’est procuré on ne sait où. Bravo !
Francis CARCO, Poèmes en prose, Albin Michel. (1886-1956)
*
11 – Les poètes déclarent que jamais plus un homme
sur cette planète n’aura à fouler une terre étrangère
— toute terre lui sera native —, ni ne restera en marge d’une
citoyenneté — chaque citoyenneté le touchant de ses grâces —,
 et que celle-ci, soucieuse de la diversité du monde,
ne saurait décider des bagages et outils
culturels qu’il lui plaira de choisir.

16 – Frères migrants, qui le monde vivez, qui le vivez
bien avant nous, les poètes déclarent en votre nom,
que le vouloir commun contre les forces brutes se nourrira
des infimes impulsions. Que l’effort est en chacun dans
l’ordinaire du quotidien. Que le combat de chacun est
le combat de tous. Que le bonheur de tous clignote dans
l’effort et la grâce de chacun, jusqu’à nous dessiner un monde
où ce qui verse et se déverse par-dessus les frontières se transforme
là même, de part et d’autre des murs et de toutes les barrières,
en cent fois cent fois cent millions de lucioles !
— une seule pour maintenir l’espoir à la portée de tous,
les autres pour garantir l’ampleur de cette
beauté contre les forces contraires.
 
Patrick CHAMOISEAU
*
Libellule

Demoiselle légère
au vol immobile

Demoiselle légère
au vol supersonique

Demoiselle légère
preste, effarouchée

Demoiselle court-vêtue
d’un lambeau de soleil

Demoiselle qui fuis
la bise de septembre

Quelle grâce inquiète
te hante, libellule ?

Louis Dubost
*
Le dernier paradis

« … Qu’il s’agisse de la croupe d’une merveilleuse jument en train de tourner sous les saxophones, du museau d’un phoque où se pose la sphère de caoutchouc, du numéro de petit accordéon du clown à étoiles, des bons mots des excentriques, des pyramides de familles à bicyclettes, des anneaux, des savants, du monsieur en habit qui découpe la dame en travesti, de la gueule des lions et du pantalon des éléphants, il y a une règle cachée, un rythme clandestin qui court sous les phases du divertissement : ce sont les grâces de la danse acrobatique… […]
Il y a toujours, sous les splendeurs du silence et du rire, un avertissement nuancé, un imperceptible bercement, qui rappelle les ondes de la danse. Il faut suivre ici les lois sublimes de l’agréable, de la persuasion. Le cirque est un lieu qui sonne le rassemblement de toutes les formes, les plus ailées, les plus lointaines, les plus muettes, de la danse. Le cirque, avec ses maquillages et ses sauts périlleux, ses combinaisons à l’infini de cercles de voltiges, ses entrées de clowns réglées comme des valses, est à la fois un endroit magique et classique. »
Léon-Paul Fargue (1876-1947)

*
J’aime ta présence apaisante
Les trilles des multitudes que tu abrites
Cette tendre complicité du bois et de la plume
J’aime les lignes de ta silhouette
Quand elle puise à l’encre de la nuit
J’aime l’indécence de tes étirements
J’aime le chant de l’eau, la mélopée de la sève
Dans ton corps élancé
Sous ton écorce de pachyderme
J’aime ton étreinte avec le ciel
Tous les bijoux dont il te pare
J’aime la grâce du vent
Dans tes branches
J’aime ton silence et le battement
De mon cœur contre le tien
J’aime cette danse pulsée d’humus et de mousse
J’aime ta force tranquille, cette folie des hauteurs
J’aime le charnel de tes racines
Ta complicité avec les profondeurs

J’aime ton rêve d’alliance
Entre mes hauts
et mes bas.

Cathy Garcia
*
du tombeau sur la montagne
après y avoir allumé la lanterne
je reviens

Hosaï
dans la boîte à clous tous les clous sont tordus
Moundarren
*
sur le crâne
du très révérend moine
deux mouches copulent

Issa
Haïkus satiriques
Pippa
*
Pas du Mt Colomb août 007

Le pas du Mont Colomb
étroit
comme une meurtrière

Je suis monté à l’ombre et là
soleil et vue
Ciel pur

Des sommets où je me suis tenu
une ou plusieurs fois

Je respire heureux

Dans la combe où je suis passé tout à l’heure le bruit d’un caillou dénonce deux chamois
une mère et son petit
je les suis des yeux

Du pas
le sommet reste inaccessible
alors je reviens sur mes pas plus bas pour prendre une autre combe
toute aussi rocailleuse

J’aime cet univers totalement minéral
ces empilements de rocs
oubliés là par la glace

Deux cornes dépassent d’un roc
un chamois m’observe
immobile
il me laisse à mon ascension

Le regard aperçoit le cairn
puis le bouquetin sommital
tête à tête immobile
puis l’animal s’esquive
avec son incroyable quiétude
et me laisse à la joie
à ma solitude

Silence et vue
soleil nu
à mes pieds
le lac long de Gordolasque
avec son bleu sombre
et la Malédie

Seul être humain au sommet
je bois le soleil et cette solitude

Le panorama me remplit
je me repose entre les mains de la Terre

Juste émerveillé d’être là
bien vivant
silencieux

Une hermine vient me saluer
rapide et curieuse

Elle se faufile sous les pierres
disparaît
réapparaît
juste sous ma cuisse et file

Nous jouons
elle avec sa vivacité nerveuse
et moi
avec un immobile sourire

Si peu de poids
pour autant de grâce et d’énergie

Hermine redoutable fauve

Soudain
grand fracas d’éboulement
je ne vois rien
juste le bruit
et cet objectif danger

Ici aussi
la mort frappe au hasard
parfois

Je voudrais t’aimer ici même
partager nos plaisirs
notre joie à vivre
dans les creux de notre intime présence au monde

Accorder nos yeux
à l’immense
nous accorder au réel sauvage
et vivants
si vivants
tout bruissants de nos présences offertes
au soleil
comme au temps

Plus bas
le fruissement de l’eau
chants sous les pierres
exacerbe ma soif
jusqu’à ce filet d’eau qui fontaine à l’air libre

Je bois cette eau jamais contrôlée

La coupe de mes mains
un geste ancestral
nécessaire
Un geste d’homme
d’homme en marche

La pierre libère l’eau
désaltéré je continue ma descente
parmi des rochers lissés par le glacier

J’aimerais être un géant
et poser ma main
sur ces croupes de pierres
ces épaules
ces hanches

Leur douceur granuleuse
me caresse d’inimaginables étreintes

Dans mes oreilles siffle un jeu de vent
marcher m’érode et m’avive

Patrick Joquel
*
Les mots sont aussi musique

Les mots sont aussi musique,
joyeux ou mélancoliques,

qui, dans leur grâce, répondent
à la musique du monde.

Piano, perles de pluie,
rossignol d’amour dans la nuit.

Piccolo, alto, saxo,
oiseaux rieurs dans les roseaux.

Grandes orgues de l’ouragan,
tonnerre, tambour géant.

Aigres fifres de l’effroi
si le loup crie dans les bois

et le cor de chasse, la mort,
quand passe la meute sonore.

Ah ! que viennent les violons,
source vive et l’espoir au fond.

Écoute, enfant, toi que j’aime,
le chant profond du poème.

Jean Joubert
Petite musique du jour
Pluie d’étoiles éditions, 2004
*

Le Vol en V des oies sauvages

Elles ont tracé la seule et unique
lettre qu’elles savent écrire,
V magnifique
dans le ciel de leur exil.

Elles laissent quelque chose après elles,
elles emportent quelque chose
par-delà les nuages ;
pour cette beauté essentielle,
grâces vous soient rendues, oies sauvages.

Car il a suffi d’une seule et unique lettre
dans le ciel démesurément gris
pour que, mieux qu’une bibliothèque,
vous donniez corps à notre nostalgie.

Ismaïl KADARÉ
Poèmes, Traduction de C. Durand,
Librairie Arthème Fayard
*
« Vous pourriez déranger la chance »

Le funambule

Un sentier de fil tendu et si mince qu’un ange n’y pourrait cheminer
que les ailes ouvertes ;

Rien que l’espace alentour -, très bas et très haut l’espace charmeur
et mortel.

Ô funambule, il n’est pas de solitude comparable à la tienne et tu
n’as d’autre compagnon

Que cette mort toujours te parlant à l’oreille et te pressant de lui céder.

Ah ! quelle danse étrange où le moindre faux pas punit de mort
le danseur !

Quelle fidélité où le moindre mensonge immole le menteur.

De ton pied intelligent, tu choisis le nombre d’or entre cent nombres
perfides — et chacun de tes orteils est vainqueur de cent énigmes.

Tandis que tes bras levés et tes paumes bien ouvertes semblent
toucher une rampe de vent ou calmer les sirènes du vide.

Une grâce vigoureuse dicte la foi forte et chaste à tes genoux, à ta
nuque.

Et tu poursuis un voyage dans la pure vérité.

Tu marches ; plus rien en toi ne peut dormir ou rêver. O justice,
ô vigilance.

Et tu es comme l’avare qui perdrait tout son trésor en perdant un
seul denier.

L’oiseau des cimes t’admire en ta haute pauvreté. Il a dans l’air vaste
et nu mille soutiens transparents :

Toi, tu n’as pour seul appui qu’un fil nié par les yeux, le plus frêle
fil du monde entre deux bords de cristal.

Tu inventes la balance où rien d’impur ne survit et quel juste
partage est fait dans l’équilibre du monde.

Entre huit grains de poussière et deux plumes de mésange !

Si ta main va s’emparer de quelque invisible pêche, tu sais la fondre
en toi-même et goûter son jus profond de la lèvre au bout des pieds.

O prince du suspens, ô maître de l’audace, chaque pas que tu fais
engendre des musiques en des lieux bercés hors du temps ;

Et la terre envieuse et l’abîme dompté ne pouvant t’engloutir, ont pris
parti de t’adorer.

Règne donc dans un tourment aux figures de délice ; caresse d’une
main savante les grands fauves endormis,

Puisque tu vois danser ton âme à la distance d’un seul pas et que ta main va l’atteindre.

O solitaire, ô lucide, risque à chaque instant de perdre un séjour
obéissant, un empire de saisons pour gagner un pas de plus.
NORGE, Oeuvres poétiques, Seghers
*

Ballade des pendus

Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Si frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ni que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

François Villon

auteurs :
Béatrice Bonhomme
Sophie Braganti
Richard Brautigan
Hélène Dorion
Hélène Cadou
Francis CARCO
Patrick CHAMOISEAU
Cathy Garcia
Louis Dubost
Léon-Paul Fargue
Hosaï
Issa
Patrick Joquel
Jean Joubert
Ismaïl KADARÉ
NORGE
François Villon