PATRICK JOQUEL Sur ce site, mon agenda des manifestations, des animations ainsi que les dernières publications.

mots migrateurs

*
Quelques mots migrateurs suite, suite car il y a eu en 2 017 :
Des textes que j’avais mis sur mon site et que Corps Puce a lu et publié. Depuis, de nouveaux textes sont nés au fil de l’actualité ; les voici.
*j’aimerais tellement ne pas écrire ces textes en écho à l’actualité. Ils existent et je les offre via mon site. On peut les partager (m’en informer est sympa mais pas obligatoire). Que valent les mots des poètes s’ils restent lettre morte?
En lisant le monde
2018/2023
(c)Patrick Joquel
www.patrick-joquel.com

été 2021
4h21am. Le thé au balcon. Entrées maritimes. Les nuages côtiers cachent les étoiles. Chaleur humide. Une auto s’arrête. Quelqu’un marche. Entre dans l’immeuble. Le livreur du Monde. Chaque matin sauf le lundi : le Monde dans la boite aux lettres. Grâce à un livreur. Costaud le livreur. Finalement le monde n’est pas si grand. Pas si lourd. Chaque matin il trouve un abri, le monde. Dans une boite aux lettres.
Ce monde en papier me parle d’hommes sans papiers. Sans boite aux lettres. D’errances. D’exils. Hommes. Femmes. Enfants. Ados. Nulle part. Quelque part. Ils ne font que passer dans la boite aux lettres. Éphémère abri. Je lis leurs mots. Je pense à eux. J’écris quelques mots. Je les donne à lire. Solidarité de papiers partagés. Des mots qui passent. D’un regard à l’autre. D’un passant à un autre. Nous sommes tous de passage.
*
en lisant le monde Dimanche 23 lundi 24 janvier 22
un poseur de grillage
ruminait son chômage
un soir en buvant sa bière
il inventa les frontières
tellement il grillageait
qu’il n’eut plus aucun congé
*
voyageur
en lisant le monde un dimanche 15 janvier 2023

On ne sait rien de toi
tu n’as aucun papier en poche
juste un corps
le tien
électrocuté
calciné
rien d’autre sur le toit de ce train express régional

on imagine ton désir de passer la frontière
d’arriver enfin
on l’imagine ton désir au point de partir à travers le désert
de traverser la mer
ton désir
au point de prendre ce train
sans billet
de monter sur ce toit
en cachette

on ne sait rien d’autre
rien de ton voyage
ni d’où tu viens
ni pourquoi tu es parti exactement
rien de tes péripéties en chemin
rien de tes joies
rien de ton passé
passé perdu
juste un corps
le tien
calciné
sur un train transfrontalier

ton corps retrouvé le 9 janvier 2023
en gare de Garavan
anonyme et sans futur
juste une vie dont on ne sait rien que son corps
juste un poème
pour te saluer et te garder en mémoire

*
en lisant le monde du 12 août 2022
après le bombardement
puisque ta maison est intacte
qu’il y a de l’eau au robinet
tu te mets à savonner
tordre et rincer
puis tu vas
comme toutes les mamans du monde étendre la lessive entre ton mur et les gravats de celui du voisin

entre deux bombardements
tu sors ton vélo
tu inspectes le quartier
croises des soldats
des gens hagards
tu roules entre les gravats
entre les larmes
entre les temps de peur et de stupeur
comme beaucoup d’enfants sur Terre
tu as un vélo et tu en es fier
*

le Monde mercredi 22 juin 22
déni d’éducation pour les Afghanes
depuis ses douze ans elle ne voit plus aucun banc d’école
elle apprend en cachette
chez elle et comme elle peut
l’anglais en particulier
en cas de fuite et d’exil
en attendant
elle s’habille en uniforme ministériel pour la protection de la vertu et la prévention du vice
avec la longue tunique noire et obligatoire etc.
elle résiste à la peur
elle chante en secret
elle ne sort jamais sans la compagnie d’un homme de la famille
elle vit entravée
elle rêve de partir
comment s’en étonner
?
*

Mouans-Sartoux en lisant le Monde je n’ai pas noté le jour
toi
ta vie
ton pays à l’agonie
tu rêves d’ailleurs
d’un peu plus de bonheur
partir vite et à jamais
destination n’importe où
n’importe où plutôt qu’ici
un aller simple et sans retour
compte à rebours
enclenché
feu
*
en lisant le Monde 15 octobre 19
hôpital des douleurs et des cris
instructions médicales à même la peau
feutre indélébile
et sentiment de trahison au ventre
impuissance
haine en fabrication ordinaire
tant de pourquoi à hurler
brûlures
corps cassés
hôpital du désespoir
tous nos lits sont occupés
revenez plus tard

dans la nuit
lueurs armées
sinistres
incandescence des cigarettes
images de panique
images exécutions sommaires
sur les écrans sociaux
pick-up surchargés d’enfants et de femmes
camps en formation
toiles au vent
toujours la même histoire
une réserve inépuisable d’acteurs innocents
fabrication de la haine ordinaire
histoires de coups politiques
histoires de comptes en banque internationaux
sur le dos des civils
histoires à ne plus dormir ni debout ni couché
histoires à mourir
fabrication ordinaire de la haine
*
en lisant le Monde du 14 mars 2022
Le jour d’avant partageait les réseaux sociaux
regardait les séries du moment
le jour d’avant riait
en présentiel ou sur écran
le jour d’avant imaginait des lendemains joyeux
des futurs multipliés
le jour d’avant

le lendemain matin du jour d’avant
15 minutes pour une valise à roulettes
et partir sous le fracas
terreur aux paupières
sans comprendre où menait le mot fuir
sur la rive en face
oui bien sûr
de l’autre côté de la frontière
mais
le jour d’après sous tente
rêves pulvérisés
sans repères
famille tronquée
sans certitude
comment les imaginer ces futurs
?
comment penser à demain
quand aujourd’hui s’absente
?
ce soir au camp de réfugiés
distribution
barquette de riz sauce tomate

*
Mouans-Sartoux en lisant le Monde je n’ai pas noté le jour
qu’est-ce qu’une frontière
questionne la cigogne
qu’est-ce qu’une barrière
?
un mur où je me cogne
au risque de mourir
répond le migrant

l’oiseau construit son nid
en haut d’un mirador
vue imprenable sur la vie
à son pied le migrant s’endort

*
Mouans-Sartoux en lisant le Monde 29 juin 2 019
tu rêvais d’un horizon libre
et tu as été enfermé
torturé
racketté
traité en esclave
corps à pognon
alors
quand tu as réussi à leur échapper
traverser la mer paraissait un jeu d’enfant
fortune de mer
sauvetage extrême
errance à bord du bateau sauveur
aucun port d’accueil
négation du droit maritime

tout un continent verrouillé à double tour
tout un continent barbelé
tout un continent branché sous haute tension politique
tout un continent
te regarde par le judas des informations continues
te regarde sans te voir
tout un continent en crise d’allergie fraternelle

toi tu attends juste un regard pour retrouver dignité
*
en lisant le Monde 5 mars 2 020
Tu as attendu dans la zone tampon
entre deux frontières
attendu
attendu
sans eau
sans nourriture
et battu
dépouillé
détéléphoné
mis hors-réseau
hors-circuit
plus aucun contact
avec personne
no man’s land
*
tu deviens
monnaie d’échange entre les pays
tu n’existes nulle part en tant qu’humain
juste étiqueté
au choix et selon les jours et les lieux
sdf
terroriste potentiel
violeur potentiel
esclave en soldes
parasite
objet pour chantage politique ou exploitations économiques diverses

ton prénom et ton nom tu les répètes le soir
comme une caresse
avant de t’endormir

*
en lisant le monde 31 décembre 2020
vivre sous une bâche
sous une tente
en plein hiver
peu importe le lieu
le froid est le froid
le gel le gel
le vent le vent
la pluie la neige
le froid
les poches vides

dehors
les prix augmentent

bonne année bonne santé
la santé surtout
*
Mouans-Sartoux en lisant le Monde juin 19
tu ne voyais pas l’Europe comme ça
tu n’as plus d’identité
tu n’as pas de vrai logement
pas de vrai travail
tu vis de débrouilles
plus ou moins légales
tu n’imaginais pas ça
ceux qui t’en parlait
tu ne les croyais pas
tu es parti et tu as marché
roulé navigué marché roulé
tu es devenu croix pour cases statistiques
tu es recherché comme un gangster
les Wanted des westerns de l’enfance
tu squattes une demie-tente
en bordure d’un périphérique
un village de toiles colorées
un village de réfugiés sans MSF
ni UN ( United Nations)
tu ne voyais pas l’Europe comme ça
quémander un travail au black
pour une poignée d’euros face à des employeurs plus ou moins scrupuleux
quémander une autorisation de vie
face à des guichets fermés
quémander un regard
un quignon
partager les misères avec d’autres migrants
le feu
le silence
et parfois la musique du pays
là où tu étais promis à une mort certaine
à plus ou moins brève échéance
brève en tous cas
ici tu es devenu un fantôme
seule ton ombre te rattache encore aux vivants
pour combien de temps
combien de temps pour résister à cet émiettement
combien de temps avant de t’habiller à nouveau de dignité
tu ne voyais pas l’Europe comme ça

*
en lisant le Monde, 14 novembre 21
migrants
ton désir d’une vie
se heurte aujourd’hui à de frais barbelés déroulés au Nord de l’Europe
les barbelés aussi explorent de nouvelles frontières
un jour au sud
un autre à l’Est
et maintenant au Nord
jeu géographique et mouvant pour des kilomètres de voyage

tu patauges sur le sol d’une forêt d’automne humide et froide
bloqué
sans rien d’autre que ton sac et ton téléphone à la batterie déchargée
tu es devenu l’arme d’une guerre politique
d’une guerre économique
une arme de chair et d’âme
des gens
au chaud dans leurs bureaux
jouent ta vie à la roulette … ou aux cartes
cynisme à vomir
*
en lisant le Monde, 17 et 19 novembre 21
instrumentalisation de la misère humaines
on les invite
moyennant finance
à venir ici
« on » sont appelés passeurs
au service de bien repus dans leurs fauteuils
puis on leur montre le chemin de la frontière avec le voisin
puis face aux barbelés
on leur propose des sécateurs
et on les pousse en avant

le regard suit les colonnes de l’article et voit ces hommes
ces femmes
ces enfants ou bien ces adolescents
la boue leur colle au corps
le froid accompagne leur faim nue
leurs doigts gercés
leurs visages hirsutes de nuits blanches
de nuits givrées
leurs poumons angoissés

En langage officiel on dit
ouvrez les guillemets
outil d’attaque hybride
fermez les guillemets
chair à canon à eau
bétail propulsé comme arme de pénétration déstabilisante involontaire
pions d’un jeu d’échecs dont les enjeux leur échappent

oui oui
on les pousse en avant
en face
on les repousse en arrière
« on » ici ce sont les soldats de l’autre côté de la frontière
vous suivez
canon à eau et grenades à gaz lacrymogène
et derrière
on les repousse en avant
façon tennis sur terre battue
humains battus
humiliés
rêves smatchés
poches trouées
larmes percées
corps lacérés
jeu set et match
*
faits de saisons et faits divers
*
Mouans-Sartoux en lisant Le Monde 18 juillet 18
comment éviter un afflux de migrants sur les côtes européennes
?
réponse estivale :
en bloquant les navires ONG de secours à quai
pas de bateau
pas de sauvetage
pas de sauvetage
pas de migrants
pas de migrants
que des noyés
du silence
le grand et total silence des profondeurs
profondeurs marines
tant que la mer garde les corps
grand silence
quand ils viennent rouler sur la grève estivale
panique touristique
exclamations diverses et variées
chute des chiffres d’affaires
indignations à géométrie variable
*
Mouans-Sartoux, en lisant le Monde 10 juillet 2 019
Méditerranée
les baigneurs
les plaisanciers
les croisiéristes
les porte containers
les pétroliers
les pêcheurs
les canots de candidats migratoires
les fortunes de mer
l’infortune
le naufrage
et les vagues écument les cadavres jusqu’aux plages
où fleurissent les parasols et les tentes

« ces arrivées massives de cadavres
c’est un vrai problème en saison touristique »

on ne dit rien de ces vies noyées
des vies coulées
de ces corps sans traçabilité
de ces corps réduits à un numéro code barre

on ne dit rien ou si peu
des vendeurs de tickets sans retour
des passeurs
des trafiquants

on préfère écouter les voix
de ceux qui veulent interdire le secours en mer
de ceux qui souhaitent interdire le débarquement des naufragés

« ces arrivées massives
c’est un vrai problème en haute saison touristique »
*
Mouans-Sartoux, en lisant le Monde 16 octobre 19
hors saison aussi
juste une petite plage
5/6cm
en bas de page France
avec en titre IMMIGRATION
et en sous-titre en gras
deux corps de migrants
retrouvés sur une plage

deux Irakiens
deux jeunes hommes
17 et 22 ans dit la nécro
ces deux jeunes hommes ne sont plus
que deux corps déposés par la marée
sur une plage de la Manche
et 5/6 cm en bas de page du Monde
*
Mouans-Sartoux en lisant le Monde du 24 août 18
brain storming politique
combien de voix vaut un migrant accueilli et respecté
?
combien de voix pèse un migrant enfermé dans un camp de rétention transitoire
?
combien de voix donne un migrant interdit de débarquement
?
combien de voix offre un migrant refoulé
?
combien de voix apporte un migrant reconduit
?
combien de voix emporte un migrant noyé
?
combien de voix pour un migrant aphone
?
combien de voix sonnantes et trébuchantes pour un migrant Golden Pass
?
quelle est la valeur boursière d’une vie humaine
?
gérer aussi les paramètres secondaires
sexe
âge
compétences
conditions météorologiques du jour
compte en banque et domiciliation bancaire

suivre au jour le jour
les conseils du responsable com pour habiter quotidiennement les Unes de tous les médias
ceux du gestionnaire de l’image publique pour évoquer de temps en temps les droits fondamentaux de l’Humain (insister sur la majuscule)
de temps en temps
seulement
*
Mouans-Sartoux en lisant le Monde je n’ai pas noté le jour
il y a les migrants économiques
Les migrants politiques
Les migrants de l’espoir
un État invente aujourd’hui les infiltrés
nouvelle caste de voyageurs sans papiers

infiltrés
comme des taupes venues saboter
espionner
démantibuler
une idée de sournoiserie
derrière cette nomination « les infiltrés »

au registre des inventions
on trouve aussi
les dublinés
les dreamers

j’allais oublier la touche de mauvais génie
l’invention du délit de solidarité
(le Conseil Constitutionnel a invalidé ce délit en France)

le pouvoir des mots
le chaos des photos
le choc des arrestations
le renvoi sous variable aléatoire
en fonction du droit des bottes
des convictions religieuses
des prochaines élections
histoire de garder son fauteuil
*
Mouans-Sartoux en lisant le Monde je n’ai pas noté le jour
les migrants
meilleur score de trafic humain depuis longtemps
juste le profit maximum
du fric à toutes les étapes
des mots
sur le silence de tous les noyés
des barbelés
sous les pieds de tous les errants
des statistiques
sur les journaux
des murs
devant
des murs
derrière
et de tous côtés
des discours électoralistes
des mensonges
clefs et verrous pour tous
quel est ce monde
?
*
en lisant le Monde 22 octobre 19
des murs
ils veulent tous construire des murs
à croire qu’ils ont des intérêts financiers dans
la brique hérissée de tessons
le grillage barbelée
la clôture hermétique
et autre système de verrouillage
cocher la bonne case et plusieurs choix possibles

quant à la question humaine
chercher la case
?
rien à cocher
just a passing shot
retour à l’envoyeur
chacun chez soi

bien en sécurité à l’intérieur
aucune fenêtre à la forteresse
et pas de porte
juste un écran géant
pour suivre l’actualité extérieure aux murs
en grignotant des cacahuètes
forfait all inclusive
of course
*

Dans le TGV Paris-Cannes, un lundi 4 décembre 18 en lisant un Monde ancien
migrants
fuyant persécution
guerre ou pauvreté
refoulés

migrants
fuyant une condamnation de justice pour corruption
fraude fiscale ou abus de pouvoir
accueilli procédure VIP
*
7 décembre 22 le monde
le sans papiers a-t-il une ombre
?
la sans papiers a-t-elle une empreinte
?
sur la neige ou bien carbone
?
l’artiste des grottes pariétales n’avait aucun papier
il ou elle apposait sa main sur la paroi

sans papier
chair à broyer
vie invisible
qualifications cachées
travail en sous-traitance
ni vu ni connu
juste bon aux petits jobs
ceux dont on dit sans qualifications
pelle pioche ou éponge

sans papiers
à Paris ou ailleurs
sur les grands chantiers ou les petits
on est tout juste bon pour le business exploitif
moderne esclave
pratique pour le boss
pratique en cas de bosses

sans papiers
étranger
si nécessaire
si invisible
*
en lisant le monde du 28 janvier

un boulevard
bivouacs trottoir ou terre plein central
bivouacs sous un pont

longue route de l’exil
si longue route d’un rêve
arrêt
stand by
juste à côté de la vie quotidienne des gens
ceux d’ici

l’attente
la misère

entre la vie at home
avec ses peurs
ses faims
son désir d’ailleurs
entre la vie d’hier et celle en attente
l’attente
l’espoir
l’effritement

les gens
passent
téléphone à l’œil
écouteurs aux oreilles
*
4e couv
*
Mouans-Sartoux en lisant le Monde 6 juillet

chacun chez soi et l’Europe sera bien gardée

fermer les frontières
repli sur soi
perte d’idéal
refus d’altérité
mensonges politiques à gogo
instrumentalisation des peurs et détresses

tout un continent mijote à petit feu
son extinction de masse

l’Europe
espèce en grand danger

l’Europe oublie les flux qui ont brassé ses populations

je ne me reconnais pas dans cette Europe là
te reconnais-tu ?
*