PATRICK JOQUEL Sur ce site, mon agenda des manifestations, des animations ainsi que les dernières publications.

printemps des poètes liberté

Liberté. Force vive, déployée
Printemps des poètes 2026
anthologie réalisée par Patrick Joquel
www.patrick-joquel.com

J’ai eu un chat
C’est mon cadeau d’anniversaire
il est noir avec un ruban rouge

je lui montre ma maison mais je suis déjà chez lui
je veux l’attraper mais il s’est caché
je veux le coucher mais il veutjouer
je lui donne un jouet mais il veut le manger
je lui donne à manger mais il veut miauler
je lui montre la litière mais il fait par terre
je l’installe sur le fauteuil mais il déchire le tissu
je le regarde d’un sale œil mais i se colle à mon pied
je lui montre son panier mais il veut la corbeille àpapiers
je lui dis « aux pieds » mais il ne sait pas aboyer
je veux donner un nom à ce seigneur
mais la liberté en a plusieurs

Sophie Braganti
La première fois
*
Les mots
Je les goûte
Je les mords
Je les mâche

Ils sont salés
Ils sont sucrés
Ou bien amers

Ils sont légers
Ils jouent à saute-mots
A tire lire
Avec mes idées

J’aime les mots
J’aime leur son
Et leur musique

Les mots pour rire
Pour raconter
Les mots pour dire
Pour évoquer

J’aime les mots
En liberté.

Luce Guilbaud
Les oiseaux sont pleins de nuages
Editions Soc et Foc
*

 
D’immenses étendues de sables
de soleils
et de vents entremêlés
 
Des siècles de traces
de pistes
et de combats
engloutis par le déferlement des dunes
 
Avec pour seule compagne
dans le tumulte incessant du silence
une prière
nous parcourons nomades infinis
la longue et lente noria des puits enfouies
 
Seule une prière
étoile filante en notre souffle
pour entendre à bout d’espoir
la grimace aigre-douce du chant des poulies
 
Peuple lent et de tendre noblesse 
ta trace est dans l’espace
d’une tonitruante présence
 
L’homme
marcheur infatigable
abandonne en chemin ses empreintes
 
Seule une ombre le suit
le poursuit
 
Les vents de sable
une à une
enfouissent nos légendes
mais le désir des peuples évanouis
résonne encore entre les hautes herbes des savanes oubliées
 
Entre nos morts ruisselle un désert inouï
autour de moi
leur parole enfin déliée
et libres
j’entends tourbillonner
d’impalpables esprits
 
Fugaces compagnons de nos civilisations inachevées
demeurons fidèles à nos sentiers
l’éternité s’enfante à perpétuité
et contre toute haine
la parole irrigue l’espérance
 
Sur les marches de haute frontière
errant d’un pas boueux
un homme en ses fatigues
un homme en son aurore
vient offrir aux libertés
les prénoms de son peuple
 
in Palabre autour d’un puits,
©AMD et Patrick Joque
*

ÉTRANGES ÉTRANGERS, Jacques Prévert
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
Hommes de pays loin
Cobayes des colonies
Doux petits musiciens
Soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
Brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
Ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
Au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
Embauchés débauchés
Manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
Pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
Rescapés de Franco
Et déportés de France et de Navarre
Pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
La liberté des autres.
Esclaves noirs de Fréjus
Tiraillés et parqués
Au bord d’une petite mer
Où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
Qui évoquez chaque soir
Dans les locaux disciplinaires
Avec une vieille boîte à cigares
Et quelques bouts de fil de fer
Tous les échos de vos villages
Tous les oiseaux de vos forêts
Et ne venez dans la capitale
Que pour fêter au pas cadencé
La prise de la Bastille le quatorze juillet.
Enfants du Sénégal
Départriés expatriés et naturalisés.
Enfants indochinois
Jongleurs aux innocents couteaux
Qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
De jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
Qui dormez aujourd’hui de retour au pays
Le visage dans la terre
Et des hommes incendiaires labourant vos rizières.
On vous a renvoyé
La monnaie de vos papiers dorés
On vous a retourné
Vos petits couteaux dans le dos.
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
Vous êtes de sa vie
Même si mal en vivez
Même si vous en mourez.
*
le lapin a fui devant le chat
le chat a fui devant moi
moi, j’ai souri
de ma liberté
je n’avais rien à fuir
ce matin-là.
(Télos)
*
Oscar Wilde la ballade de la geôle de Reading

Il marcha parmi les gens en jugement
Dans un habit de gris râpé     ;
Sur sa tête une casquette de cricket,
Et ses pas semblaient gais et légers     ;
Mais jamais je ne vis homme regarder
Si intensément le jour.
    
Jamais je ne vis homme regarder
D’un œil si pensif
Cette petite tente de bleu
Que les prisonniers nomment le ciel,
Et chaque nuage à la dérive
Qui passait avec des voiles d’argent.
    

Il marcha parmi les gens en jugement
Dans un habit de gris râpé     ;
Sur sa tête une casquette de cricket,
Et ses pas semblaient gais et légers     ;
Mais jamais je ne vis homme regarder
Si intensément le jour.
    
Jamais je ne vis homme regarder
D’un œil si pensif
Cette petite tente de bleu
Que les prisonniers nomment le ciel,
Et chaque nuage à la dérive trainant
Son écheveau de blancs flocons.
    

Il s’abreuvait de soleil
Comme si c’eût été du vin.

    
Jamais je ne vis hommes éplorés regarder
D’un œil si pensif
Cette petite tente de bleu
Que nous prisonniers nommions le ciel,
Et chaque nuage heureux qui passait
En une liberté si étrange.
*
Quand tu téléphones à tes copains
L’oeil est là
Quand tu envoies un texto
L’oeil est là
Quand tu traverses la rue
L’oeil est là
Quand tu ouvres ton ordinateur
L’oeil est là
Quand tes parents prennent l’autoroute
L’oeil est là
Quand ils sortent leur poubelle
L’oeil est là
Quand ils utilisent leur carte bancaire
L’oeil est là
Personne ne s’en inquiète
Mais il contrôle tout
Un jour viendra
Ou peut-être toi
Peut-être quelqu’un d’autre
Mettra au feu
Le pieu de la liberté
Et l’enfoncera bien profond
Dans le profond de l’oeil.
Il n’y aura aucun cri
Juste un grand silence
Puisque derrière cet oeil
  Comment tu vas le monde ?
Poèmes de Claude Burneau
illustrés par Lisa Launay
Gros Textes
*

Nous dressons la table tous les soirs.
Le couvert de la liberté est assuré
La place reste vide
Mais le couvert reste mis.
René Char
*
De la liberté. FREEDOM, what else  ?
On marche

On marche

Et même quand rien ne marche

On marche encore

D’Atlanta à Washington

Des bidonvilles de Brazzaville

Aux ghettos de Soweto

Rosa, Révérend, frère Malcolm

Patrice, Nelson

Rassurez-vous

Vos enfants suivent vos paroles

Et marchent sur vos pas

Vers l’horizon infini

De la liberté

La liberté

Encore et toujours

La liberté

Chère à vos cœurs

La liberté

Marquée au fer rouge

Dans la chair de notre peuple Noir

La liberté

Inscrite dans nos gènes

Indigènes

Et notre ADN

Hommes de paix

Dissidents

Résistants

Dormez peinards

Et n’ayez crainte

Vos enfants suivent vos paroles

Et marchent sur vos pas

Vers l’horizon infini de la liberté

La liberté

Encore et toujours

La liberté

Freedom

What else  ?

Liberté

Entends-tu nos chants d’espoir  ?

Ce sont les mêmes qui déjà s’élevaient

Au-dessus des champs de coton

Liberté

Nous marchons vers toi

Depuis 400  ans

Et même si les temps ont été durs

Et le sont encore

Parfois

Jamais nous n’avons perdu

Et jamais nous ne perdrons la foi

Nous marchons vers toi

Liberté

Belle, rebelle et fraternelle

Liberté

Terre de mille et une merveilles

Liberté

Noir soleil

Resplendissant comme un joyau de feu

Liberté

Don de Dieu

Dont le cri de tonnerre tourné vers les cieux

Est né de la révolte

Et a enfanté la force, la lutte, et le sens

Liberté

Nous marchons vers toi

Depuis 400 ans

Et même si les temps ont été durs et le sont encore

Parfois

Jamais nous n’avons perdu notre âme

Et jamais nous ne perdrons notre flamme

Demain sera

Jour de noces

Après des siècles d’infidélité

Nos rêves enfin épouseront la réalité

Et nos gosses

Témoins seront de l’avènement d’un nouveau jour

Alors

Les fils et filles du Nord et du Sud

Assis à la même table

Celle de la fraternité

Partageront

Le pain

Le vin

Et l’humanité

Demain sera

Merci

Rosa Parks

À toi je pense inconsciemment

Chaque fois que je monte dans un bus

Et que je m’assois où bon me semble

Merci

Martin Luther King

Aujourd’hui encore ton rêve rassemble

We have a dream

Et ce rêve épousera la réalité

By any means necessary

Merci

Frère Malcolm

Merci

Muhammad Ali

Pour ta fierté et ta liberté de ton

Ton insolence et ton arrogance

Merci

Barack Husssein

Tu casses la baraque

Bon vent

Et quoi qu’il arrive

Merci pour l’élan et l’inspiration

Yes we can

Yes you can

Ange, Maelle, Léa

Vous avez le droit de rêver

Et de tout espérer

Merci

Mandela

Pour toutes ces années sacrifiées

Pour la liberté de ton peuple

Merci

Pour ton abnégation et ta foi

Merci

Sankara, Lumumba

Pour votre courage politique

Vos prises d’opposition

Et votre sens du devoir

Merci

N’krumah

God bless the USA

United States of Africa

Tu vois, ton panafrican dream

A traversé le temps et les frontières d’Accra

Chers poètes, historiens, artistes

Professeurs d’espérance

Vos univers respectifs

Enveloppent le monde noir

De providentielle beauté

À partager avec la terre entière

Césaire

Damas

Fanon

Métellus

Senghor

Glissant

Frankétienne

Baldwin

Vos armes miraculeuses

Sont entre de bonnes mains

Pour ma part

Humblement

Je continuerai d’écrire encore

Jusqu’à l’amor

Jusqu’à la mort

Pour que notre nation nègre

Irradie la planète de la lumière de sa culture

Et qu’elle décrive elle-même

Sa propre histoire

Merci

Cheikh Anta Diop

Merci

Ali Farka Touré

Pour le blues de tes notes

Chanté du Mali au Mississipi

Merci

Billie Holiday

Nina Simone

Pour vos chants de protestations

Contre la ségrégation

Femmes belles et rebelles

Insoumises

Vous êtes des soleils noirs

Vous êtes des soleils noirs

Vous êtes

Des soleils noirs

Vos voix résonnent en nos cœurs

Et « Strange fruit »

Qui nous ancre dans l’histoire du peuple Noir

Nous rappelle

Que nous marchons

Depuis tout ce temps

Quatre siècles

De marche

À l’ombre de la justice, de la paix et de l’égalité

Quatre siècles

De marche

Couverts d’opprobres, d’injures et de boue

Mais nous avons toujours su nous relever

Nous élever

Et nous sommes toujours debout

Libres de rêver

D’espérer

Et de croire

Que demain sera différent

Merci

Bob Marley

Fela Kuti

Pour la puissance de votre sique

Et vos hymnes à la résistance

Repris en chœur de Lagos à Kingston

We get up

We stand up

And nobody but ourselves

Can chakala our dreams again

On marche

On marche

Même quand rien ne marche

On marche encore

Vers l’infini horizon de la liberté

Nous marchons

En quête de nous-mêmes

Et à la rencontre de l’Autre

Qui loin de nous appauvrir

Nous enrichit de sa différence

À condition qu’il ne nie pas

Et respecte la nôtre

À condition qu’il ne nie pas

Et respecte la nôtre

Nous marchons

Nous marchons

Même quand rien ne marche

Nous marchons encore

Sur le grand boulevard des bouleversés

Et en direction du Carrefour des cultures

Nous marchons encore

Vers la liberté

Freedom

What else  ?

La liberté

Chère à nos cœurs

La liberté

Marquée au fer rouge

Dans la chair de notre peuple noir

La liberté

Inscrite dans nos gènes

Indigènes

Et notre ADN

Notre liberté

Qui se confond

Avec celle de l’Autre

Cet Autre que nous appelons

Au partage et A la fraternité

Merci

Louis Armstrong

I’m strong

Je suis fort de notre histoire

Je la porte en moi

Comme je porte ma croix, et mes souffrances

À bras-le-corps

Comme je porte mes dreads

Avec la fierté de ceux qui savent

D’où ils viennent

Et ce qu’ils doivent à leur ascendance

AND I THINK TO MYSELF

WHAT A WONDERFUL

BLACK WORLD
Marc Alexandre Oho Bambe
*
Gabriel Péri

Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli

Car tout ce qu’il voulait
Nous le voulions aussi
Nous le voulons aujourd’hui
Que le bonheur soit la lumière
Au fond des yeux au fond du cœur
Et la justice sur la terre

Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amis
Ajoutons-y Péri
Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant.

Paul Eluard
Au rendez-vous allemand
*
Allégeance

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima ?

Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L’espace qu’il parcourt est ma fidélité. Il dessine l’espoir et léger l’éconduit. Il est prépondérant sans qu’il y prenne part.

Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s’inscrit son essor, ma liberté le creuse.

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas ?
René Char
*
Compagnon des Amériques

compagnon des amériques
mon québec ma terre amère ma terre amande
ma patrie d’haleine dans la touffe des vents
j’ai de to la difficile et poignante présence
avec une large blessure d’espace au front
dans une vivante agonie de roseaux au visage

je parle avec les mots noueux de nos endurances
nous avons soif de toutes les eaux du monde
nous avons faim de toutes les terres du monde
dans la liberté criée de débris d’embâcle
nos feux de position s’allument vers le large
l’aïeule prière à nos doigts défaillante
la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles

mais cargue-moi en toi pays cargue-moi
et marche au rompt le cœur de tes écorces tendres
marche à l’arête de tes dures plaies d’érosion
marche à tes pas réveillés des sommeils d’ornières
et marche à ta force épissure des bras à ton sol

mais chante plus haut l’amour en moi, chante
je me ferai passion de ta face
je me ferai porteur des germes de ton espérance
veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avènement
un homme de ton réquisitoire
un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse
un homme de ta commisération infinie
l’homme artériel de tes gigues
dans le poitrail effervescent des poudreries
dans la grande artillerie de tes couleurs d’automne
dans tes hanches de montagnes
dans l’accord comète de tes plaines
dans l’artésienne vigueur de tes villes
devant toutes les litanies
de chats-huants qui huent dans la lune
devant toutes compromissions en peux de vison
devant les héros de la bonne conscience
les émancipés malingres
gérard Miron

*
J’atteste
J’atteste qu’il n’y a d’être humain
que celui dont le cœur tremble d’amour
pour tous ses frères en humanité

Celui qui désire ardemment
plus pour eux que pour lui-même
liberté, paix, dignité

celui qui considère que la vie
est encore plus sacrée
que ses croyances et ses divinités

J’atteste qu’il n’y a d’être humain
que celui qui combat sans relâche
la haine en lui et autour de lui

Celui qui,
dès qu’il ouvre les yeux
le matin se pose la question :
Que vais-je faire aujourd’hui
pour ne pas perdre ma qualité et ma fierté
d’être homme ?
Abedellatif Laâbi
10 janvier 2015
*
*
La petite lampe sous la mer

Haïtien attelé au soc
Du lait tendre au petit matin
Né pour caresser le printemps
Son destin descend à la mer
Où il trouve une jeune lueur
De toute beauté une lampe.

Pour panifier la liberté
Pour donner au ventaux sources
Et au sang innocent versé
Le dit du miel et du lait
Le doux bonsoir du basilic
Cette petite lampe sous la mer.

Pour que sur ton cœur de mouette
Pour que sur la rose des vents
Sur la bonté sur ses songes
Le travail le faire l’amour
Cesse de régner l’injustice
Cette petite lampe sur la mer.

Pour être le « nègre » de la mer
Pour porter les mots de l’azur
Et du citron le chant du sel
Pour être au maïs arrimé
Et le semer dans son sillage
Cette petite lampe sur la mer.

Au vent amoureux d’un voilier
L’avion d’un sextant de lune
Le bateau d’un éclat de cap
Voici mon cerf-volant d’aurore
Cette petite lampe sur la mer.

A ceux qui n’ont pas eu d’enfance
Au poète que fuit le chant
Pour le pêcheur sans un poisson
A tout métier sans soleil
A l’écrivain sans un lecteur
Cette petite lampe sur la mer.

..
A ceux qu’on tue pour le plaisir
D’enlever une aile au bonheur
De voir le sang doubler la rose
A ceux qu’on tue sur un bûcher
Laissant jusqu’au bout la flamme
Faire son tour de chant de cœur
Cette petite lampe sur la mer.

A ceux qu’on tue au jour le jour
A chaque jour sa fine goutte
De froid de fiel de félonie
De feu bilieux de cigarette
D’escarbille de jalousie
Cette petite lampe sur la mer.

A tous les soldats inconnus
De l’amour et de la douleur
Du racisme et de ses guerres
Aux innocents morts à minuit
A leur sang perdu dans la nuit
Cette petite lampe sur la mer.

Aux lynchés du sud de la peur
A ceux qu’on lynche avec les yeux
A ces milliers de lampes
Tombées au chant de l’innocence
Pour chanter leur gloire je lève
Cette petite lampe sur la mer.

Aux femmes à qui l’orgasme
Chaque soir tourne un dos glacé
Pour être au vagin éblouies
Voici un phare et un radar
Un cocorico pour boussole
Cette petite lampe sur la mer.

Pour que ton amant chaque soir
T’émerveille les reins les seins
Et te libère dans le corps
Une volée de mutins piments
Qui laisse bouche bée ton sang
Cette petite lampe sur la mer.

..

Pour qu’enfin tu cesses de croire
Que la couleur de la peau fait
La beauté le moine le printemps
La raison et ses profondeurs
Et que tu ailles Homme blanc
Chercher l’humain et ses gloires
A mille mètres sous le cœur
Cette petite lampe sur la mer.

Pour que naisse la liberté
Pour que son nom soit musicien
Je dis ses espoirs et ses tourments
Son doux bonjour à l’horizon
De tout cœur j’annonce son triomphe
Que je lis dans vos yeux frères noirs
Et en pleurant riant je lève
Vers le visage du vaste monde
Mon seul bien ma goutte de lait tendre
Une petite lampe sur la mer.

René Depestre
Journal d’un animal marin
*
Dans l’aleph des jours
Poèmes 2007-2008, extraits
Qu’on se lève
Et que l’on dise
Le poème
Tout haut
Qu’on le murmure
Dans son cœur
Comme une prière
Qu’on l’offre
A ceux qui n’ont plus
De parole
A manger

Dans le silence
D’un poème
J’ai entendu
Mon propre vide
Dans une parole
Du poème
Tu as entendu
L’air de la liberté
La tête explose
En feuilles mortes
Le cœur ne sait plus
Où est le nord
par Frédéric Le Dain
*
Chant profane pour les temps inquiets

Des êtres, maintenant, pleurent sur une terre étrangère,
Pleurent de désespoir et de douleur ;
Des êtres, maintenant, plongent dans le fleuve impassible
Plongent dans le fleuve pour mourir et se délivrer ;
Des êtres, maintenant, ont perdu cette lumière sacrée,
Cette lumière merveilleuse qu’est la liberté.
La voix athée, maintenant, leur a barré l’avenir de ses longs bras funestes
La voix du mensonge et de la mauvaise foi,
Et quelques hommes, maintenant, croient pouvoir disposer d’eux tous ;
Quelques hommes qui flamboient sur le volcan du monde,
Quelques hommes funèbres, dont la mort et la cendre emplissent les deux mains.

André Sylvain
*
N’écoute pas

N’écoute pas
celui qui répète,
à part peut-être le ruisseau
qui murmure la vie.

Ne redis pas
ce que le vent t’a soufflé,
à part peut-être la liberté
puisqu’il court après.

Ne crains pas
les montagnes qui ne t’ont pas cru,
à part peut-être ton cœur
qui bat pour rattraper l’heure.

Alain Serres
N’écoute pas celui qui répète,
Cheyne, 1989
*