PATRICK JOQUEL Sur ce site, mon agenda des manifestations, des animations ainsi que les dernières publications.

le bruit d’un brin de bambou

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Editions Gros textes
Patrick Joquel
Le bruit
D’un brin
de bambou
que brise
un panda
ébrèche
l’unibers

3

A l’abri de la pluie
le petit matin
console un poème

Il lui dit :
« Debout
tu es vivant »

Le poème respire alors
ce grand bol d’humide
et
disparaît sous la bruine
avec à sa majuscule
une casquette

4

Tu suis des yeux
la flèche rouge de ta boussole

Loin là-bas
au delà de la montagne
un éléphant de mer t’attend

Tu vois
tu n’es pas seul au monde

5

As-tu pensé
qu’au moment où tu écris
sur ton papier glacé
le mot lumière
un ours blanc
avance à tâtons
vers l’étoile polaire

6

Sur la banquise
un vieux morse
allume
au dernier rayon de l’été
ses canines

Longues bougies
Gardez-le hors de la nuit
si froide

Longues bougies
réchauffez son coeur

Ce lourd mammifère aussi
a besoin de clarté

7

En hiver
le lac vert est gelé
on y glisse en patin
jusqu’au lac noir
bonsoir

8

Chamois
beau chamois
dans quel lac
dis-moi
trempes-tu tes cornes
Agnel ou Carbone

Ni dans le premier
ni dans le second

A Fontanalbe alors
Saorgine ou Jugale

Pas dans le premier
pas dans le second
ni dans le troisième

Où donc chamois
doux chamois
où vas-tu donc tremper tes cornes

« Dans les eaux du lac du Diable
exclusivement »

9

Silence

L’encre est blessée
et de sa blessure
à grands traits jaillit l’écriture

Alentour
les crapauds
colportent
leurs histoires

Chacun son chant

10

Pas un seul poème à l’horizon

Aucun mot
ne mord à la plume
aucun frémissement
ne trouble l’encre

Un beau désert me dévisage
et me fond dans son regard

Un mulot explore la pièce
il s’arrête

Me regarde à son tour

Nous nous sourions

11

L’antilope
a longtemps cherché
le puits du soir

Je l’ai vue galoper
à travers la savane
et souvent s’endormir
sans se désaltérer

Aussi
ai-je joué du tam-tam
dans le noir
pour appeler la pluie

Elle n’est jamais venue
et l’antilope court encore
après le puits

12

Du désert
tu n’as rien à craindre

Sous le soleil de midi
les cordons de dune
ronronneront sous tes roues

Si ton GPS se grippe
au plus obscur
d’une tempête de sable
un serpent minute t’indiquera
à la seconde près
le sud

Le soir
au bivouac
un scorpion te serrera la pince

Non
Jean-Louis
du désert
tu n’as rien à craindre

13
En équilibre
sur le fil imaginaire de l’équateur
je bavarde avec une girafe

A main droite
un glouton
grave une aurore boréale

A ma gauche
un manchot royal
boit du thé antarctique

En équilibre
sur le bel imaginaire de l’équateur
je jongle avec trois satellites

Dans mon dos
un panda sculpte un bambou
devant moi un condor
attend patiemment ma chute

Et je marche
en rimant parfois
sur le fol imaginaire de l’équateur

Je sais que jamais je ne tomberai

Je m’envolerai
sur un rayon de poème
comme un sorcier
sur son balai

14
L’équateur
toujours l’équateur
et nous alors

Latitudes en berne
et longitudes en vrac
les deux tropiques bougonnants
bougonnaient

Bougonnaient ferme
et sans cesser leur ronde
le croquèrent
par ses deux hémisphères

15

A Madagascar
j’ai suivi en parapente
un vol de comètes

Aux Comores
un lent coelacanthe
est venu me regarder
à travers le hublot
de mon sous-marin de poche

En Sibérie
un mammouth poursuit sans bruit
sa congélation

Tu vois Séba
le monde rêve
ici et là-bas
le monde rêve
autant que toi

16

Ruminés de lave

Exemple un :

Je ne sortirai donc jamais
de ce volcan
jamais de ce grand chaudron
tout palpitant d’orange et d’orage

Je ne glisserai donc jamais
vers l’océan

Jamais je ne verrai
les dauphins étincelants
de bleu et de joie

exemple deux :

J’en ai assez
de gros-bouillonner
en rond
et en soupir

Ras l’cratère
ras la bulle

J’veux partir

17

Un bref éclair
un discret tonnerre
sur la pointe de ses gouttes
somnole une pluie
je suis un escargot heureux

18

Sur un rosier
la coccinelle apache
et la fourmi cow-boy
jouent aux dominos des pucerons

- Double six je les croque tous
dit la coccinelle

- Double un
j’en sauve un
répond la fourmi

19

Rainettes
oisillons
fleurs des champs
fourmis
vers de terre
ou scarabées
tous ont connu le regard de ta main
son creux certains soirs de solitude
s’en souvient

Rainette
oisillon
fleur des champs
fourmi
ver de terre
et scarabée

20

Seigneur
votre château fort est bien faible aujourd’hui
il a la chair de poule
il claque du mâchicoulis
tremble du donjon
donnez-lui donc une aspirine
Offrez-lui une semaine à la neige
Emmenez-le sur la lune

On a beau être fort
quand on est château
pour garder les murailles sur terre
on a bien besoin de rêver

21

je n’ai qu’un L à mon nom

C’est bien assez
pour voler comme je vole
d’un songe à un autre
d’une terre à une autre
d’un temps à un autre

Bien assez
pour happer
en plein ciel
un mot après l’autre
et
le coucher sur la page
comme l’hirondelle
avec ses deux L
noircit de moucherons
ses paniers

22

Croque-le-vent s’endort

Il a le ventre plein
la mer ne dit plus rien
le calcaire est sans voix
aucun arbre ne bouge
et sur le sol l’oiseau muet
cherche la clef de son chant

23

As-tu déjà volé
volé en plein ciel
volé
vraiment volé
à mains nues

Comme un aigle

Comment ?
Que dis-tu ?

Que je raconte n’importe quoi ?
OK
Tu ne connaîtras pas mon secret
je le garde au chaud
bien au chaud
dans son nid

24

Les jours de grand vent
les satellites
et les parapluies
tournent autour du monde

j’ouvre les nageoires
je m’envole aussi
je surfe
au dos d’une rafale heureuse
je plane
au-dessus des plaines
j’ébouriffe les forêts
je caresse
la peau des montagnes
Je compte
les moutons des mers
les palmiers du désert
les feux rouges des villes

Si je frôle
un jour de tempête
ton regard
tu me reconnaîtras

Je porte à mon cou
un noeud papillon bleu

25

Chaque soir au crépuscule
et seul
sur son nid d’aigle
il jouait du saxo

Chaque soir pour l’écouter
l’une après l’autre
les étoiles
s’accoudaient à leur balcon

Parfois
il en cueillait une en plein vol

Il la suspendait
à quelque clef de sa mémoire

De soir en soir
son instrument brillait
de plus en plus fort
sa musique devenait
de plus en plus lumineuse

Chaque soir au crépuscule
et
seul sur son nid d’aigle
il jouait du saxo

- Je jouerai
disait-il
jusqu’à ce que la lune se décroche

26

Un soir
dans son jardin
la sorcière aux hortensias
expliquait à son crapaud
« tu vois
quand tu le grilles au feu de bois
le grillon gras
grésille un peu mieux que
le grillon gris »

Le crapaud coassa
« Pourquoi le griller
gras ou gris
le doux grillon d’août
grésille après sa belle

Serais-tu jalouse

Même si
personne ne chante pour toi
sur cette terre
en été
laisse au grillon
ses rêves d’amour »

27

J’aurais pu être
stalactite
et
me laisser glisser
au cœur obscur de la terre
ou bien
renoncule arctique
accrochée au revers d’une ancienne moraine

Cela n’aurait pas été
Beaucoup plus difficile
qu‘être un homme

28

Clin d’oeil à Rimbaud

Une toute petite vague
est venue enfiler
au doigt déchiré d’un récif
sa bague
et la mer a retrouvé

quoi?

l’éternité bien sûr

29

Dans le bec de son pélican
Bien confortablement assis
sur un banc de mulets
Jonathan
ce vieux loup de mer
revenu de tous les îlots
écoute en chantant son walk-man

« Quand la chanson s’arrêtera
Dit-il à son grand oiseau blanc
tu m’envoleras dans l’espace »